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Romain Gary – L'impossible dérobade

par Benoit Desmarais

– Ce que je voudrais être ?
– Romain Gary, mais c'est impossible.

En 1967, lorsque Romain Gary fit cette réponse en forme de boutade au questionnaire de Proust, il éclairait pourtant un problème qu'il résuma dans la toute dernière phrase de La promesse de l'aube : « J'ai vécu. » Une phrase écrite au passé composé, littéralement, puisque ce roman autobiographique raconte la vie de Roman Kacew tentant par tous les moyens et sous les imprécations de sa mère, de devenir Romain Gary.

Dans Vie et mort d'Émile Ajar, Gary expliquait en partie l'aventure existentielle de la création de l'œuvre qu'il signa sous le nom d'Ajar par son horreur du « une fois pour toutes ». Le présent ouvrage se propose de montrer comment Roman Kacew, devenu Romain Gary, se condamna lui-même au « une fois pour toutes » en faisant de sa propre vie un roman, La promesse de l'aube, le plus connu et le plus célébré de toute son œuvre. L'écriture de Gros-Câlin, alors qu'Ajar n'existait pas encore, fut la seconde chance que se donna Roman Kacew d'exister. En donnant ce livre à un autre qu'il nomma Ajar, Kacew se condamna de nouveau à la clandestinité. Il ne lui restait plus qu'à tenter de se maintenir dans un impossible équilibre, sans se dérober, entre Gary et Ajar, entre « celui que je n'étais pas et celui que je ne voulais pas être ».

Extraits du livre

Extrait 1 - Romain Gary taci-turnus : La promesse de l'aube

À la fi n de l'année 1958, Romain Gary a quarante-quatre ans. Il est consul de France à Los Angeles depuis près de trois ans. L'étape suivante de sa carrière diplomatique serait logiquement d'obtenir un poste d'ambassadeur, du moins l'on peut croire qu'une telle nomination est à sa portée, le général De Gaulle étant de retour au pouvoir depuis le mois de mai de cett e même année. Gary est Compagnon de la Libération et son travail à Los Angeles est très bien noté. Sa carrière littéraire a finalement pris son essor de spectaculaire façon. Les racines du ciel est traduit en de nombreuses langues et sa parution aux États-Unis a été un triomphe critique et commercial, le cinéaste John Huston l'a adapté au cinéma, bref, s'il n'est pas encore prix Nobel et ambassadeur de France, il n'a certes pas démérité. L'heure est venue de remplir sa promesse envers sa mère, Mina... [téléchargez la suite].

Extrait 2 - Le chemin vers Ajar : la musique de l'inexprimable
The Ski Bum / Adieu Gary Cooper

Ajar n'est pas une création spontanée. Au milieu des années cinquante, Gary est déjà obsédé par l'idée d'une supercherie littéraire. En 1958, il a publié L'homme à la colombe, satire vitriolique des Nations Unies inspirée de son éprouvant passage dans l'institution comme porte-parole de la délégation française. Il ne peut signer le livre de son nom, empêché par le devoir de réserve. Il pense donc à faire signer le livre par un tiers, qui refusera de se prêter au jeu. Au Texas, Gary contacte un compagnon du temps de Londres pendant la guerre, Paul Sinibaldi, pour lui demander d'incarner l'auteur. Nouveau refus. Gary se résout alors à simplement signer le livre d'un pseudonyme, Fosco Sinibaldi. Le livre passera inaperçu, et Gary mettra encore une vingtaine d'année pour réaliser ce fantasme de l'invention d'un roman et de son auteur... [téléchargez la suite].

Extrait 3 - Le chemin vers Ajar: la musique de l'inexprimable Europa

Si on retrouve peu d'ajarismes dans ce roman virtuose d'une langue de facture classique — alors que sa structure est parfois décrite comme empruntant au Nouveau Roman —, on en est pas moins presque au point où Ajar va naître.

Si tous les personnages se rêvent les uns les autres — comme dans cett e histoire du philosophe chinois Tchouang-Tseu ayant rêvé qu'il était un papillon mais qui ne savait plus, au réveil, s'il n'était pas un papillon rêvant qu'il était Tchouang-Tseu —, ils sont rêvés par un seul auteur creusant des trous dans la psyché de tous ses personnages dans lesquels tous les fils les reliant apparaissent, les entraînant dans une spirale qui les emprisonnent en eux-mêmes, devinant un ailleurs duquel ils se trouvent exclus, rêvés par un homme prisonnier de sa solitude... [téléchargez la suite].

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